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Le jour où l’animal a retrouvé sa juste place

Le nouveau récit du groupe de pionniers du 21 février 2023

L’Arche du Vivant, février 2033.

Ma fille chérie,

Tu avais 7 ans en 2023, et je me souviens bien de ta solitude à l’école à l’heure de la cantine. Tu étais la seule élève végétarienne dans notre petit village de montagne, et le fait de ne pouvoir partager tes idées précoces avec tes camarades te rendait si malheureuse… J’ai encore les larmes aux yeux en repensant à cette époque.

Depuis ton plus jeune âge, interagir ou jouer avec un chien ou avec un cochon, un rat ou une poule, revenait au même pour toi, et tu ne comprenais pas comment on pouvait trancher le cou et manger l’un tout en câlinant l’autre. Tous ces êtres vivants ressentent bien la douleur, la crainte, la peur et sont capables de manifester de l’affection après tout !

Lorsque la commune du village a décidé de changer de prestataire lors d’une refonte de marché en mars 2023, cela a été l’occasion de revoir les repas proposés aux enfants. Le bilan carbone de la mairie réalisé l’année d’avant en 2022 était sans équivoque : 1033 tonnes de CO2 équivalent, le plus haut poste devant les transports ! Il fallait trouver un moyen de réduire les émissions. Les élus, qui avaient participé à un atelier Fresque du Climat avaient bien conscience de l’impact de la carte “Agriculture” et de la nécessité de réduire les émissions de méthane et de protoxyde d’azote. 

La décision a donc été prise de remettre les protéines végétales à l’honneur dans toutes les cantines de la communauté de communes. Je me souviens parfaitement de la joie éclairant ton visage quand tu es rentrée un jour de printemps de l’école en nous annonçant fièrement avoir eu un délicieux houmous accompagné de légumes frais locaux à midi ! Et ce n’était que le début d’une révolution gustative à la cantine.

Les années qui suivirent furent une succession d’améliorations : en 2024, la cour d’école fut débitumisée, et un potager installé à proximité. Les enfants passaient le plus clair de leur temps libre à aider les adultes à entretenir le jardin qui dépassait les frontières de l’école pour s’inviter dans l’espace public. Un concours fut organisé lors de la traditionnelle fête de courge, pour proposer toujours plus de plantations. Avec le dérèglement climatique et l’apparition de nouvelles espèces à cultiver avec la sécheresse, nous avons progressivement aménagé les menus. 

Cet espace, connu aujourd’hui comme l’Arche du Vivant, devint progressivement un nouveau lieu très prisé pour construire des relations sociales de qualité.

C’est notamment grâce à ce refuge que nous avons pu survivre à la 3e guerre mondiale, qui s’est déclarée peu après le premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine. Nous étions pris en étau entre la Russie et la Chine d’un côté, les Etats-Unis de l’autre, mais dans notre petit village en bas du plateau des Glières, nous résistions. Nous avions l’Histoire en mémoire. 

Une solidarité extraordinaire entre les habitants nous a permis de survivre confortablement, grâce aux échanges de services et de savoir-faire. Nous n’avons manqué de rien, chacun ayant compris l’importance de préserver les ressources en eau et en nourriture.

Les animaux ont peu à peu retrouvé une place de choix dans notre quotidien. Nous n’avions plus pour idée de les exploiter, mais plutôt de cohabiter avec eux de manière pacifique, respectueuse. Quelle fierté tu as eu quand notre poney Booba a été désigné comme mascotte de ce nouveau statut pour les animaux ! 

Lorsque la directive européenne de 2030 sur le statut des êtres sentients a été votée puis retranscrite en droit français assez rapidement (pour une fois !), tu as écrit un magnifique texte de remerciement, qui n’est pas passé inaperçu.

Aujourd’hui en 2033, nous ne pouvons que nous réjouir de ce changement de situation. Le niveau de vie, qui se mesure en bonheur intérieur et non plus en richesse financière, est incomparable avec celui des années 2020. Cela montre à quel point la cohabitation pacifique entre les êtres vivants était en fait la solution à notre mal-être général, à partir du moment où nous avons cessé de vouloir exploiter pour simplement apprécier, tout a changé. Quel bonheur de pouvoir fêter tes 17 ans aujourd’hui dans ce monde pacifié !