Une révolution dans mon immeuble
Le nouveau récit du groupe de pionnier·es du 18 octobre 2023
D’une simple conversation entre voisines sur le désir de robes nouvelles est née une révolution vestimentaire, transformant un simple dressing partagé entre quatre immeubles parisiens en une initiative nationale, créant des liens communautaires, résistant aux bouleversements mondiaux de l’industrie textile, et réinventant notre manière de consommer la mode :
Le 23 septembre 2023, j’ai surpris une conversation entre quatre habitantes de l’immeuble dont je suis le gardien. Elles se disaient qu’elles avaient parfois envie de nouvelles robes pour sortir, mais qu’elles n’avaient pas les moyens de s’en acheter autant qu’elles le voudraient. L’une d’entre elles s’est alors exclamée : « Mais moi je peux vous prêter mes robes ! » réciproquement les autres répondirent : « Moi aussi ! », « Moi aussi ! ». Elles avaient l’air toutes excitées, ça m’a fait sourire tout l’après-midi de les voir heureuses comme ça.
Quelques mois plus tard, je n’y croyais pas ! Les quatre voisines se prêtaient réellement leurs robes. Sur les flyers qu’elles avaient mis à disposition dans tout l’immeuble, elles proposèrent de créer un dressing collectif partagé accessible à tout le monde. Je n’étais pas sûr que ça fonctionne, sceptique, j’attendais de voir comment ça allait se passer.
Une année était passée. Une fois n’est pas coutume, j’avais tort, le dressing collectif fonctionne super bien. Ma femme avait même emprunté une robe pour m’emmener au restaurant pour mon anniversaire.
Le 8 août 2024 a été le jour où je me suis aussi lancé à partager mes vêtements. C’est fou, mais je m’en souviens encore.
Puis en mars 2025, alors que le concept du dressing collectif était ancré dans nos vies quotidiennes et entretenu en autonomie par l’ensemble de l’immeuble, j’entendis du bruit dans l’escalier en ouvrant ma porte. Je croyais à un déménagement : des cartons dans tous les sens, des portants, des cintres. Puis, je croise Philippa, l’une des créatrices du dressing partagé. Je lui ai demandé ce qu’il se passait, espérant qu’elle ne partait pas avec ses trois copines. C’est vrai, la vie de l’immeuble avait tellement changé depuis leur arrivée. Philippa me rassura, elles avaient parlé de leur partage de vêtements à leurs amies et collègues du quartier qui ont trouvé cela génial ! Elles aimeraient, elles aussi, organiser ça à leur tour.
Mais maligne comme sont mes voisines, elles se sont dit pourquoi ne pas mutualiser tous les vêtements pouvant être partagés de tout le quartier en y créant un dressing solidaire. Elles se sont dit qu’en plus, cela dynamisera de nouveau la vie de quartier, créera de nouvelles rencontres et ça pourra permettre à tous et toutes d’accéder à de jolis et accessibles vêtements.
Moins d’un an plus tard, j’ai enfin réalisé. Je n’en revenais pas ! Je connaissais le prénom de tout le monde, je me sentais trop beau, j’avais appris à coudre pour réparer les tricots empruntés que j’avais abîmé en bricolant.
Le phénomène avait tellement pris que petit à petit, on a vu des personnes d’autres arrondissements de Paris venir dans les trois dressings du quartier. Il y a même eu des journalistes, on en a parlé à la télé ! Rapidement, mes quatre voisines ont été submergées d’appels. J’étais heureux pour elles mais ça commençait à devenir un peu fou, voire à nuire à notre tranquillité. Les filles ont su réagir et ont créé une association pour développer leur concept.
En 2027, l’association était installée à deux rues de mon immeuble, l’ambiance y est très sympa, je viens de temps en temps y prendre un café. On peut même s’inscrire à des ateliers de formation pour créer un dressing partagé dans son lieu d’habitation ou de quartiers comme elle. Une fois de plus, l’ampleur a continué et s’est vite répandue dans tout le pays. L’association s’était tellement agrandie qu’elles devaient trouver des locaux plus grands. Elles ont réussi à récupérer de vieux et immenses entrepôts. Elle les ont réhabilités et c’est à cet endroit que nous nous retrouvons. L’ambiance est toujours restée la même. Cependant ce qui a changé c’est qu’aujourd’hui on n’a plus envie d’acheter ses propres vêtements.
Le 1er janvier 2029, Philippa et ses amies ont fêté avec nous leur premier million de dressings partagés ouverts. Qui l’aurait cru ?! On n’y croyait pas ! Quelques mois plus tard, la Chine a complètement fermé ses frontières. Aucune importation de vêtements ne pouvait être possible. Pour nous ça ne changeait rien. Le concept de mes voisines fonctionnait à merveille. Elles se sont même rapprochées de certaines coopératives rassemblant les métiers de la couture. Maintenant, si on a besoin de retoucher d’anciens vêtements ou d’en acheter de nouveaux, on sait où les trouver : localement auprès de ces chères coopératives engagées.
Ces jeunes femmes ont changé mon mode de consommation. Je les remercie car même pour le plus beau jour de ma vie, le mariage de ma fille, vous ne devinerez jamais où je suis allée chercher sa robe de mariée… dans le dressing partagé de mes voisines !